Marjorie Gadenne
« La difficulté ne réside pas tant dans le fait de concevoir de nouvelles idées que d’échapper aux anciennes » (John Maynard Keynes)
Voyons d’abord la situation actuelle du travail des femmes en France et, par extension, dans la plupart des pays occidentaux. Ensuite, les conséquences d’un revenu universel seront envisagées dans ce cadre précis.
Prenons en exemple un couple hétérosexuel vivant en France, avec enfants. Tous deux sont très peu ou pas diplômés. Le Monsieur est très bon bricoleur, il répare tout ce qui est cassé à la maison, fabrique lui-même des objets, entretient le jardin et la maison. Madame est bonne cuisinière, maman attentionnée et grâce à ses soins constants, la maison est toujours nickel.
Dans un cadre professionnel, Monsieur pourra créer une petite entreprise de réparations et travaux en tout genre, ou bien devenir agent de maintenance en entreprise par exemple. Ses compétences et l’ensemble de son travail pourront être qualifiés et reconnus, rétribués à un niveau supérieur au SMIC.
De son côté, Madame aura un choix énorme de professions qui s’offriront à elle : assistante maternelle, hôtesse de caisse, standardiste, aide-soignante, technicienne de surface, assistante de vie scolaire, gardienne d’immeuble, accompagnante éducative et sociale, auxiliaire de vie….
Elle sera souvent employée à temps partiel, ses horaires seront variables, habituellement en dehors des horaires de bureau, son salaire sera minimum. Ne parlons pas de la précarité de son emploi, encore moins de la reconnaissance de ses compétences, qui sont généralement considérées comme aptitudes innées chez la femme, ceci étant à peine exagéré.
En effet, d’après l’Organisation Internationale du Travail (OIT), les femmes représentent 70% des travailleurs·ses pauvres et occupent 82% des temps partiels, s’agissant pour deux tiers d’entre eux de temps partiels non choisis. Les inégalités de salaires entre les femmes et les hommes sont encore actuellement de 26% en France.
La sociologue Kathi Weeks, le décrit ainsi : « Le salariat, qui reste le mécanisme clé de la survie économique, dépend d’une seconde institution, à savoir la famille privatisée, qui sert de premier lieu au travail reproductif nécessaire pour reproduire les travailleurs et travailleuses au quotidien et cela sur des générations. Donc le système du travail-salaire-et-famille inclut les systèmes majeurs de production centrés sur la sphère du travail salarié et de la reproduction organisée autour du foyer familial. »
Le revenu universel va-t-il aider les femmes à accéder à des postes clés, à des fonctions valorisantes, à se positionner dans la vie politique ? Les femmes pourront-elles s’élever du « plancher collant » ou crever le « plafond de verre » ? Le revenu universel va-t-il constituer un outil pour changer le regard de la société sur la reconnaissance de leurs compétences ?
A contrario, le revenu universel pourrait risquer de se transformer en salaire maternel ou rendre encore plus invisible le travail du « care » au lieu de le valoriser.
Avec un revenu de base « suffisant », les femmes qui décideront de réduire leur temps de travail voire d’arrêter de travailler ne seront pas celles qui s’épanouissent dans leur vie professionnelle ou qui touchent un bon salaire. Ce sont celles qui n’ont pas de conditions de travail décentes, qui effectuent les tâches les plus ingrates, portant parfois même atteinte à leur intégrité physique : en France, 25% des agressions sexuelles s’opèrent sur le lieu de travail, souvent en toute impunité puisque le lien de subordination et le risque de perdre son emploi réduisent leur capacité de réaction.
On peut espérer que le niveau de vie obtenu avec le revenu universel permette d’épargner aux femmes d’accepter un emploi subi, peu rémunérateur, et non valorisant. Les femmes y gagneraient en assurance, en qualité de vie, et par voie de conséquence, la famille également.
Ainsi, on peut conclure qu’avec un revenu universel de niveau supérieur au seuil de pauvreté, les femmes, (et par extension, les émigrés et les travailleurs précaires) bénéficieraient d’un « tremplin » pour s’affranchir des contraintes lourdes de leurs conditions de travail actuelles. Ce tremplin devrait pouvoir s’accompagner d’information, voire même d’enseignement afin d’être une véritable opportunité pour les travailleur.ses de cette catégorie que l’on appelle parfois les invisibles, et pour beaucoup mis en lumière en cette période de crise sanitaire.
L’information et l’enseignement s’adresserait à tous pour que chacun.e. prenne acte d’un changement majeur au bénéfice de la société toute entière.
M.G. Mai 2020
Le sujet a de multiples facettes. Je vous propose également ces lectures :
https://www.revenudebase.info/actualites/feminisme-revenu-de-base-enjeu-du-travail-des-femmes/
SUITE DU DOSSIER
Mettre en route le revenu universel
En France, 19 présidents de conseils départementaux demandent de pouvoir l’expérimenter
Le revenu universel: une bien belle utopie
La définition du revenu universel
La renaissance du revenu universel
La question du revenu universel avait fait irruption dans le débat public à l’occasion des primaires de la gauche en 2017. Les Français étaient majoritairement hostiles à l’idée. Trois ans plus tard, le coronavirus peut-il inverser la tendance ?
Intelligence artificielle et revenu universel d’existence
LE REVENU UNIVERSEL D’EXISTENCE pourrait devenir indispensable avec la « fin du travail ».
Edito
Le revenu universel refait surface
Ebauches de revenu universel dans le monde
Des ébauches de revenu universel ont été réalisées dans plusieurs pays mais elles restent éloignées du R.U. au sens strict.